Forum de Rhodes
Forum Public International sur le Dialogue des Civilisations – Rhodes, Grèce
2-6 octobre 2013
Mesdames et Messieurs, permettez-moi tout d’abord de remercier Mr. Vladimir Yakunin, Président Fondateur du Forum Public International (FPI) ; Mr. Walter Schwimmer, directeur du Comite international de coordination (FPI); Mr. Fred Dallamyr, co-président du FPI; et Mr. Vladimir Kulikov, Directeur intérimaire du FPI, de m’avoir invité à participer à cette conférence.
Je m’adresse à vous aujourd’hui en ma qualité de président de l’Union Internationale pour le Dialogue Inter Culturel et Religieux et l’Education de la Paix (ADIC) lancée à Paris en 1989. Créée par le Dr. Adel Amer, ancien directeur de la Ligue des Etats Arabes à Paris et le Père Lelong, Père blanc catholique, l’ADIC portait à l’origine le nom d’Association pour le Dialogue Islamo-Chrétien.
Je suis devenu Président de l’ADIC à la mort du Dr. Adel Amer en Avril 1990 et les membres du comité de direction de l’ADIC ont proposé de nommer Président d’honneur le Cardinal Franz Koenig, membre du Sacré Collège des Cardinaux, responsable du Dialogue avec les non-chrétiens, auprès du Vatican.
Dès les premiers jours de ma présidence, j’ai tenu à élargir le mandat de l’Association afin d’y inclure le dialogue avec les juifs pour en faire l’Association pour le Dialogue judéo-islamo-chrétien. Au fil des ans, j’ai réalisé l’importance du dialogue des cultures car il contribue au succès du dialogue des religions. C’est ainsi que pour représenter l’ensemble des activités de l’ADIC au cours des années, son nom a été changé en 2010 pour devenir « Union Internationale pour le Dialogue Interculturel et Religieux et l’Education de la Paix », tout en gardant l’acronyme ADIC.
Etablir des relations entre les trois religions monothéistes grâce à des colloques, des déclarations publiques, des programmes de télévision de même que par des activités culturelles et éducatives, sont les actions menées par l’ADIC dans le cadre du dialogue des cultures et des religions sur prés de 20 ans, sur trois continents.
Notre toute dernière conférence, organisée conjointement par l’ADIC et l’Institut suédois d’Alexandrie, en novembre dernier, portant sur les influences mutuelles du dialogue interculturel et interreligieux, a donnée lieu à une table ronde sur le thème «Rapprocher laïcité et croyances religieuses dans les sociétés contemporaines».
Venons-en maintenant au thème de mon intervention, à savoir le dialogue sunnites-chiites.
Nous parlons tous du dialogue entre sunnites et chiites, alors que la réalité sur le terrain est conflictuelle. Quand nous nous demandons quelle est la raison de ce conflit, surtout depuis qu’il y a eu consensus total au niveau de la foi en Dieu, le Saint Coran et le Prophète Mahomet, je pense que les quelques points de désaccord restants sont d’ordre mineur.
Il y a cinq différences principales entre musulmans sunnites et chiites:
1-La direction religieuse (Imamat) : Les shiites croient que les Imams sont guidés par Dieu et sont les interprètes légitimes du Coran. Alors que lessSunnites croient que leurs Imams n’ont pas de caractère divin mais sont des personnes qui ont une foi solide et un savoir théologique du Saint coran et de la Sunna.
2-L’infaillibilité : Les chiites croient que leurs imams sont parfaits en tous points. Ils font peu de distinction entre les imams et les prophètes. Alors que les sunnites croient que l’infaillibilité même des prophètes est limitée en matière de transmission de la révélation.
3-La position des shiites et des sunnites sur les compagnons du Prophète (Sahaba): Les sunnites n’ont pas de ressentiment envers les Compagnons du Prophète. Ils pensent que la dignité des Compagnons du Prophète les place au dessus de toute autre personne mise à l’honneur. Alors que les chiites maintiennent leur opposition aux Compagnons du Prophète dans le mesure où ils croient que tous ceux qui ont, sauf trois d’entr’eux, à savoir Abu Dharr, Salman al-Farisi et al-Miqdad, abandonné l’islam après la mort du Prophète Mahomet, sont des incroyants.
4-Le mariage temporaire (Muta’a): Les sunnites tout comme les chiites sont d’accord sur le fait que le mariage temporaire était autorisé au tout début de l’Islam. Les sunnites, cependant, croient que le mariage temporaire fut interdit par la suite alors que les chiites continuent à le pratiquer.
5-Les pratiques religieuses: Je prendrai pour exemple la « dissimulation » ou (taqiyyah), à savoir renier la foi. Les chiites considèrent la dissimulation comme un acte autorisé, même sans nécessité. Ils sont allés même jusqu’à considérer la dissimulation comme un élément central de leur doctrine. Pour les sunnites, la règle initiale relative au mensonge en fait un acte interdit et un signe d’hypocrisie, sauf cas exceptionnel où leur vie peut être mise en danger. Et même dans ce cas, il vaut mieux rester silencieux et refuser de renoncer à sa foi, même en face de la mort.
Comme vous pouvez le constater, les sunnites tout comme les chiites, partagent les croyances et la foi musulmanes les plus fondamentales. Les différences entre ces deux sous-groupes dans l’islam ne sont pas initialement nées de différences spirituelles mais de clivages purement politiques.
Mais, au fil des siècles, cependant, ces clivages politiques ont donné le jour à un certain nombre de pratiques qui ont une signification spirituelle. A cet égard, j’aimerais vous donner un exemple des efforts déployés pour rapprocher sunnites et chiites.
Lors de la visite du chef de la communauté shiite du Liban à l’Université d’Al-Azhar au Caire, à l’époque de feu le Sheikh d’Al-Azhar Gad al-Haq Ali Gad al-Haq (1982-1996), il a prononcé un discours dans lequel il disait: « Pourquoi nous disputer si nous adorons le même Dieu, notre référence coranique est la même et nous croyons en la même religion, les autres points de désaccord revêtent une importance secondaire »?
Les étudiants de l’Université d’Al-Azhar ont été impressionnés par ses propos.
Dans une interview avec l’ayatollah Khomeiny parue dans le journal Al-Ahram (23/2/79), Khomeiny a déclaré: « le différence entre sunnites et chiites est la création de l’Occident ».
Je suis d’accord avec Khomeiny quand il a exprimé son refus face aux manœuvres visant à faire de la discrimination entre sunnites et chiites et qu’il a également rejeté les interprétations fanatiques de l’islam. Répondant à la question relative à son évaluation des nombreuses initiatives qu’il a faites pour la coopération entre chiites et sunnites, et en particulier dans son célèbre discours de Kom en 1964 où il faisait un lien entre l’importance d’une telle coopération et l’indépendance de la volonté des pays islamiques, Khomeiny a répondu: « Je pense que les clivages entre chiites et sunnites relevaient plutôt de désaccords sur l’interprétation des même mots et que ces clivages ont été amplifiés par les étrangers en vue de détruire l’unité des pays islamiques… mais il ont oublié que l’unité des musulmans relevait de la volonté de Dieu et que le Prophète de l’islam a travaillé à la mettre en œuvre. Nous considérons le Shah comme l’un de ceux qui ont contribué à l’instauration de ces clivages. Une fois l’unité accomplie entre les pays islamiques, ces pays représenteront une grande puissance mondiale ».
Personnellement je crois qu’à un moment le clivage entre sunnites et chiites a fait place à une rupture, voire même une hostilité, pour des raisons politiques, du fait des intérêts des dirigeants et de l’extrémisme pratiqué des deux cotés. Il faut noter aussi que chaque partie fait preuve d’une méconnaissance apparente de la position de l’autre ainsi que d’une ignorance de l’essence de l’islam. Cette essence de l’Islam est basée sur l’unité des musulmans et interdit la division parmi eux, indépendamment de leurs croyances et sectes.
Je crois aussi que le clivage entre sunnites et chiites est basé sur le désaccord politique entre les principaux pays comme l’Iran, centre du shiisme d’une part, et comme l’Egypte centre de l’islam sunnite représenté par Al-Azhar et l’Arabie saoudite symbolisé par les deux Saintes Mosquées.
Je pense que le rôle des dirigeants sunnites et chiites consiste à trouver un terrain d’entente pour le dialogue entre les deux groupes de façon à éviter confrontation et violence. Comme nous avons pu le constater dans de nombreux pays musulmans, cela a été la cause de nombreuses victimes.
L’Unité entre les musulmans est une obligation religieuse clairement établie à maintes reprises dans le Saint Coran. Dieu dit, dans la sourate « Al-Imran »: Et cramponnez-vous tous ensemble au « Habl » (câble) d’Allah et ne soyez pas divisés; et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous : lorsque vous étiez ennemis, c’est Lui qui réconcilia vos coeurs. Puis, pas Son bienfait, vous êtes devenus frères… » Sourate “Al-Imran”(3:103)
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