Rotary club le Caire-Champollion – Le Caire
15 décembre 2008
Tout d’abord, je tiens à vous donner une explication sur mes relations avec la francophonie. Je suis arrivé en France, à Grenoble, sans parler un mot de Français et, influencé par les traditions anglo-saxonnes, je suis allé dans un salon de thé où j’ai commandé un thé et un gâteau que j’aime toujours, un mille feuilles. Le «u» c’est un mot qui en français m’a toujours fait souffrir.
Je n’ai jamais pu le prononcer correctement et par erreur j’ai demandé à la dame mille filles. C’est là ma première aventure avec la langue française; il est vrai que la dame a répondu avec humour « Monsieur, avec la meilleure volonté je n’aurai jamais le nombre. » Après avoir commencé le Droit, dans chaque livre de Droit, j’ai dû chercher chaque mot dans 2 dictionnaires, franco-français et français juridique, les soulignant. Le pauvre livre étant tellement souligné sous chaque mot qu’il en est devenu, à la fin de l’année, tout noir. Lorsque vous êtes confronté à des difficultés insurmontables, vous ne pouvez que rêver et j’ai rêvé qu’un jour viendrait je serai peut-être amené à faire un discours devant un public français avec l’ambition que le public puisse me comprendre et réagir, qu’il jette des tomates ou applaudissent, c’est pareil.
Le jour est venu en 1962 et c’est cela qui va nous amener vers le dialogue. J’ai été invité à une conférence par des associations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, donc le public ne pouvant être que fatalement juif. J’y suis tout de même allé et après avoir entendu les discours, j’ai dit que je ne voyais pas en quoi un musulman ou un arabe peut s’interdire de se joindre à vous. La bataille est compréhensible, car pour moi le racisme est un et indivisible et par conséquent la lutte contre le racisme doit être également une et indivisible.
Tout cela pour vous dire que mon ambition depuis toujours a été de parler le même langage à tout le monde. Mais vous devez bien vous imaginer que ce discours que je tenais devant mes amis, c’était alors dans les années 60, c’était trop tôt. Pour parler ce langage, effectivement j’ai invité des associations arabes à se joindre et je me rappelle qu’un ami, qui est toujours pour moi un ami, Claude Lanzmann, à Paris, auteur d’un grand ouvrage sur le monde juif de la Shoah, m’a demandé si je n’avais pas peur des réactions. Je lui ai répondu qu’il y a toujours un risque mais que le risque le plus grave c’est d’étouffer les mots et cela je ne le peux pas. Je ne veux pas revenir tout le temps à l’histoire mais je veux revenir à des faits précis, événements de la vie.
Un jour, l’Institut des sciences politiques à paris m’a invité à participer à une conférence faite par un membre du corps diplomatique israélien. Réaction curieuse, j’ai pensé que refuser de lui répondre, c’était fuir et j’ai accepté la confrontation, j’ai accepté de lui répondre, il s’appelait Ibhraim Tari. Je m’en souviens car cela a fait l’objet de dizaines et dizaines de rapports politiques envoyés au gouvernement au caire, bien entendu, sur ce traître qui a accepté de parler en présence d’un israélien.
C’est le langage d’une époque, et je me rappelle également que lorsque j’ai quitté la conférence, quelques étudiants excités appartenant à différentes tendances de l’époque, le Baas et autres, ont manifesté contre le fait qu’un Egyptien ait accepté de s’asseoir, même s’il fait un discours très sévère, à la même table avec un israélien.
En France, il y a un problème que j’ai rencontré avec les livres scolaires ; en effet, en 1956, au lendemain de la nationalisation du Canal de Suez, j’ai été surpris par un article en première page du journal « Le Figaro » intitulé « Réveille toi Martel ». Sur le moment je ne savais pas qui était Martel jusqu’à ce que je me rappelle qu’il s’agissait effectivement de Charles Martel qui a arrêté l’avance arabe à Poitiers. Je me suis dit que peut-être l’auteur de l’article n’était pas une personne importante, jusqu’à ce que je découvre qu’il s’agissait rien de moins qu’André Siegfried, membre de l’Académie Française, donc un grand personnage. Il m’a fallu 2 ans pour le rencontrer et lui ai demandé la raison de cette référence à l’odeur de guerre sainte, pour un acte sur lequel on peut être ou ne pas être d’accord, à savoir la nationalisation du Canal de Suez et sa réponse a été d’une simplicité extraordinaire : « C’est ce que l’on a appris dans les livres scolaires. » C’était en 1956.
Je puis vous assurer que cela a été pour moi comme une vendetta à savoir d’avoir un regard sur les livres scolaires, sachant que chacun de nous a dans ses livres une référence négative sur l’autre. Et parlant toujours le même langage, j’étais sûr que cela était valable dans les 2 sens.
Puis l’organisme du dialogue « ADIC » a vu le jour à Paris et en 1994 nous avons organisé une conférence à la Sorbonne; 5 ans après je me suis attaqué au problème des livres scolaires, tout cela pour vous dire combien cela a pris de temps. J’ai alors compris que le problème des livres scolaires, ce n’est pas un problème du Ministère de l’Education nationale, mais bien la responsabilité de l’auteur. J‘ai alors organisé une réunion avec des représentants du syndicat des professeurs et ai commencé à analyser les livres scolaires mais j’avoue qu’il y avait eu une expérience antérieure en Allemagne qui avait abouti à un changement. Ils ont osé changer le mot « djihad » pour lui donner son vrai sens, à savoir la lutte contre ses propres maux.
C’est pour vous dire que dans le domaine du dialogue, cela peut paraître de nos jours comme un acte mondain, on fait une conférence, on rencontre l’autre, on se salue, on prend des photos, on dit voilà on est bien ensemble. Et il y a les medias qui jouent un rôle et il est vrai qu’en Egypte, dans le monde arabe, dans le monde islamique, on se plaint que la presse internationale traite de thèmes qui poussent un milliard d’hommes à s’interroger sur la façon de traiter notre Prophète.
En ce qui me concerne, chaque problème a sa solution et avec humour je dis toujours que je n’aime pas pleurer, le Mur des Lamentations est à Jérusalem. Je me suis dit alors qu’en ce qui concerne les medias, il est possible d’envisager de faire une table ronde avec sages et experts des medias de l’Ouest et du monde islamique et ce afin de trouver une conciliation historique entre la liberté d’expression chère à nous tous et le droit des autres à protéger leurs symboles, cela doit être possible et je vous avoue que parmi les membres de Davos et des Nations Unies et même dernièrement à Madrid ou j’ai participé à l’initiative du Roi d’Arabie Saoudite, j’ai essayé de mettre sur pied cette table ronde mais elle doit avoir un vrai écho.
Je pense que le dialogue, et c’est certainement un point de vue partagé par la majeure partie d’entre vous, à savoir que le dialogue est un mot simple, le contraire des heurts et des confrontations, donc l’ennemi héréditaire, c’est le fanatisme, car le fanatisme bloque déjà la conception du dialogue, on est fermé sur soi, on est fermé sur ses convictions.
Et par expérience du terrain, il est vrai que j’ai eu la chance inouïe que Dieu ait mis sur mon chemin des hommes et des femmes qui ont aidé à la réalisation de ma tâche. Le chemin vers le Vatican qui a abouti à l’accord signé avec Al-Azhar, en 1998, je le dois à Monseigneur Koening de Vienne, un des Pères du dialogue au sein du Vatican. Lorsque l’on vous parle de conflit des religions, il faut vraiment sourire avec ironie ; moi, musulman, mon chemin vers Monseigneur Koening est passé par un Juif qui s’appelle Karl Kahane; il me l’a fait rencontrer à Venise, me disant voilà un homme qui va vous aider. Un an après cette rencontre j’ai présenté Monseigneur Koening au défunt Sheikh d’Al-Azhar Gadelhaq Ali Gadelhaq, alors que, malade, il était à Berne pour traitement. Le courant est passé entre les deux hommes qui ont parlé du dialogue. Monseigneur Koening a exprimé sa conception du dialogue. Sheikh Gadelhaq m’a dit alors que la situation méritait d’être réexaminée.
Je vous avoue dans le temps qu’Al-Azhar ne voulait pas entendre parler du dialogue, pas dans sa totalité mais certains d’entres eux. Car pour eux, dialoguer avec l’autre religion, il y a le danger naïf de convertir. Et il y a un an j’ai été étonné de ce qu’un journaliste a écrit, et pourtant un journaliste se doit d’être sensé:« Mais on le sait, depuis qu’Aly Elsamman a signé l’Accord avec le Vatican et l’Eglise Anglicane, son objectif caché est de convertir les Musulmans ».
Mais c’est curieux, je n’ai pas réussi à convertir qui que ce soit, faute peut-être de demandeur, je n’en sais rien. Je ne vous cache pas qu’avec cet accord avec le Vatican je voulais qu’Al-Azhar soit sur le terrain et sur la scène internationale ; Al-Azhar a une place à coté du Vatican et à coté de l’Eglise de Canterbury. Le travail fait ensemble représente en soi une réflexion très profonde qui peut faire avancer les choses.
Pour conclure, je crois que de nos jours nous avons intérêt, et c’est là un avis personnel, à ne jamais séparer le dialogue des religions du dialogue des cultures, ils sont inséparables ; j’ai dit cela à Doha, je l’ai répété à Madrid, car le dialogue des cultures aide à avoir une meilleure compréhension. Mais par dialogue des cultures je fais référence au niveau populaire, et j’ose dire que chaque homme honnête, qui a œuvré pour le dialogue, doit avoir le courage aujourd’hui de reconnaître que nous n’avons pas réussi à transmettre le message du dialogue au niveau de la base populaire, c’est cela l’objectif.
Lorsque je parle dialogue des cultures je ne veux pas dire parler des grands professeurs et des grand savants, leur place est importante, mais de populariser la culture et de trouver un modèle comme par exemple le groupe créé par Mary Eisenhower « People to People » qui fait un travail merveilleux, c’est ça la culture. Donc ne jamais séparer le dialogue des religions du dialogue des cultures.
Enfin, il faut tout de même oser dire que le dialogue ne sera pas couronné de succès tant que chacun de nous n’osera pas mécontenter une partie des siens pour être du coté du droit et de la justice. Si chacun dit, les miens d’abord et le reste, on verra plus tard, on n’avancera pas. C’est cela le problème de nos jours, ce repliement sur soi.
Il est vrai que je n’ai pas une formation théologique mais s’il faut donner un message aux peuples, aux téléspectateurs à la télévision, il faut que les gens comprennent qu’il n’y a pas de monopole pour la foi en Dieu ; il n’y a pas de monopole pour les mots de Dieu ; tout comme il n’y a pas de monopole pour l’interprétation des mots de Dieu ; et il ne doit pas y avoir également de monopole pour fixer la place des uns et des autres auprès de Dieu.
Le jour où les gens comprendront cela, l’appliqueront et l’imposeront sur les fanatiques, on aura gagné la plus grande des batailles qui s’appelle la dignité humaine et l’intelligence de la vie.
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