Dr. Aly El-Samman : Nous avons obtenu la liberté mais nous l’avons interprétée comme le droit de faire ce qu’on veut  


8/08/2012

voir l’article original d’Al-Ahram Hebdo en ligne 

Dans un entretien avec Al-Ahram Hebdo, Ali Al-Sammane, président de l’Union mondiale du dialogue des cultures, analyse la situation en Egypte. Il évoque la crise économique et la sécurité, deux problèmes majeurs auxquels est confronté le nouveau gouvernement. « Nous avons obtenu la liberté mais nous l’avons interprétée comme le droit de faire ce qu’on veut »

Al-ahram hebdo : Que pensez-vous du nouveau gouvernement de technocrates ? La composition du gouvernement répond-elle, selon vous, aux besoins de l’Egypte ?

Ali Al-Sammane : Il est évident que, pendant la prochaine phase, nous avons besoin d’un gouvernement formé d’experts. C’est pour cela que j’ai dernièrement adressé un message sincère au président Morsi lui conseillant de garder le gouvernement Ganzouri, formé de technocrates. Morsi a lancé son plan de 100 jours à l’issue de son élection avec l’objectif de régler 5 problèmes dont souffrent les Egyptiens, dont la circulation, l’eau, le pain et la propreté. Il a fallu 30 jours pour choisir le nouveau gouvernement. Pour que les nouveaux ministres se familiarisent avec les dossiers urgents, il leur faut 30 jours. Et il faudra 30 jours encore pour commencer à travailler. Si le programme des 100 jours n’est pas respecté, cela peut causer un manque de confiance en le gouvernement. Cependant, le président a usé de son droit de former un nouveau gouvernement, il est trop tôt pour le juger objectivement.

— Pensez-vous que le nouveau gouvernement puisse parvenir à rétablir la stabilité politique, unique moyen pour surmonter la crise économique ?

— A mon avis, ce qui importe avant la stabilité politique, c’est la stabilité sécuritaire. Aujourd’hui, les baltaguis se déplacent en toute liberté partout dans le pays et commettent des actes qui font d’énormes dégâts. La sécurité et la stabilité sont nécessaires pour relancer la production et parvenir à la prospérité. — Comment voyez-vous la scène politique actuellement ?

— Malheureusement, il y a de plus en plus de courants politiques et ils ne sont pas d’accord entre eux. Chacun campe sur ses positions et refuse d’écouter l’opinion de l’autre. Toutes ces forces ont oublié un principe fondamental de la démocratie qui est le respect de l’opinion de l’autre. Etablir une véritable démocratie nécessite de longues années. Nous avons obtenu la liberté mais nous l’avons interprétée comme le droit de faire ce qu’on veut. Nous avons oublié le respect de l’ordre et de la discipline. La liberté est devenue synonyme de chaos et de perte du prestige de l’Etat.

— Que pensez-vous de la restructuration de la police ?

— Si restructuration signifie limoger certains officiers pour régler des comptes avec l’ancien régime, cela se répercutera négativement sur le moral des hommes de la police. Et nous ne pourrons plus compter sur eux pour rétablir la sécurité. La restructuration doit donc être impartiale et arbitrée par la direction de la police, le Parquet général ou la justice pour assurer l’objectivité de toute décision punitive imposée aux policiers.

— A votre avis, quelle est la principale réalisation d’Al-Azhar durant l’année passée ?

— Je pense qu’il s’agit du document d’Al-Azhar sur « l’Etat démocratique » qui est synonyme, à mon avis, de l’Etat civil. Ce document a réuni les oulémas d’Al-Azhar, des intellectuels et des personnalités laïques. Ce document a été favorablement accueilli par les instances internationales et a même été décrit par la présidente de l’Unesco comme étant « un tournant important ». La seconde réalisation est la proposition faite par le grand imam d’Al-Azhar de réformer l’organisme des grands oulémas, chargé d’élire le grand imam. En effet, jusqu’à présent, ce dernier était nommé par le président de la République. Désormais, si le grand imam est nommé par un organisme indépendant, sa priorité sera le développement d’Al-Azhar et non pas la complaisance avec le régime.

— Pensez-vous que les craintes de l’élite envers l’islam politique soient exagérées ?

— L’islam politique est un mot très large qui comprend plusieurs groupuscules différents. Quand certaines personnes se revendiquent de l’islam politique et font des déclarations irréfléchies contre les intellectuels, les partisans de l’Etat civil et les coptes, l’inquiétude est tout à fait justifiée et légitime. A mon avis, la responsabilité de protéger les coptes revient à la majorité musulmane. Mais les fanatiques ont oublié que l’islam comporte des obligations. Aujourd’hui, la moitié du peuple est prête à faire face à l’extrémisme religieux, c’est rassurant.

— Que pensez-vous de la dernière visite de Clinton au Caire ?

— Elle a commis une grosse erreur, car elle a donné aux Egyptiens le sentiment qu’elle s’ingère dans les affaires internes de l’Egypte. Elle a affiché sa préférence pour les Frères musulmans. Ce fut une surprise pour Clinton de voir la rue égyptienne protester contre sa présence au Caire. Pourvu qu’elle comprenne que les relations entre les Etats-Unis et l’Egypte sont des relations stratégiques qu’il faut protéger, mais aussi réévaluer.

— Pensez-vous que nous vivions une contre-révolution et que la révolution de janvier ne soit pas encore terminée ?

— J’ai un avis différent. La révolution de janvier a réalisé son objectif en renversant la tête du pouvoir et en dissolvant le Parlement. Je regrette de voir que certaines factions qui prétendent appartenir à la révolution se donnent à un autre objectif, celui de détruire l’Etat.

— Comment expliquez-vous que certaines figures de proue de la révolution ont accordé leur soutien au président Morsi au second tour des élections ?

— Ceci est tout à fait compréhensible, puisqu’ils refusent le principe de coopérer avec toute personne appartenant à l’ancien régime. Cependant, ils n’ont pas compris que le général Ahmad Chafiq était un homme d’Etat durant l’ère de Moubarak et non pas un homme du régime, il n’a jamais appartenu au PND. D’ailleurs, certains révolutionnaires ont rejoint Chafiq et lui ont accordé leur soutien.

— Pensez-vous que des accords aient été conclus entre les Frères musulmans et le CSFA ?

— Je ne suis pas convaincu par cette idée, ni maintenant ni dans le passé. Cependant, je suis convaincu que le CSFA a commis une grosse erreur en acceptant la tenue d’élections avant la rédaction de la Constitution. Cette erreur a été désastreuse pour le pays.

— Les relations entre l’Egypte et l’Afrique vont-elles connaître un essor ?

— Le retour de l’Egypte au sein de l’Afrique après 30 ans d’absence de la scène africaine a été favorablement accueilli par le peuple. Dans le passé, le Dr Boutros-Ghali avait déployé d’énormes efforts pour essayer de convaincre le chef d’Etat de l’importance de consolider les relations avec l’Afrique. Cependant, le chef de l’Etat était convaincu que la politique étrangère commence en Europe et se termine aux Etats-Unis.

— L’Egypte est déchirée entre les diverses forces politiques alors que l’économie du pays est au bord du gouffre. Qu’en pensez-vous ?

— Je suis tout à fait étonné qu’on parle de tout sauf de l’avenir de l’économie égyptienne. Il existe un état d’irresponsabilité face au danger de l’arrêt de la production accompagné d’une énorme hausse du chômage. Les dépenses de la Banque Centrale pour calmer momentanément la voix des manifestants et des grévistes ont plongé le pays dans une situation très difficile. Que Dieu pardonne à l’ancien premier ministre Essam Charaf, qui a ouvert la porte au versement des primes, une mesure de court terme seulement. Si nous voulons protéger l’économie égyptienne, il faut commencer par rétablir la sécurité et la discipline.

Propos recueillis par Magda Barsoum

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